A Xingping, au bord de la Li, vivaient des pêcheurs, qui pêchaient au cormoran, le matin très tôt à la lumière des lampes ou le soir tard. Le tourisme se développa dans cette région au relief peu ordinaire (des milliers de pain de sucre, reliefs karstiques serrés les uns contre les autres à perte de vue). Tant et si bien que les bâteaux de touristes sur la Li River en vinrent à dépasser 300 par jour. 300 bâteaux qui chaque jour font l’aller-retour entre la capitale régionale, Guilin, et la ville de Yangshuo. 4h de voyage pour des touristes essentiellement chinois. Voyage au milieu des collines dans ce paysage si peu ordinaire qu’il en est devenu un des hauts-lieux du tourisme chinois. Et les poissons dans tout ce remue-ménage ? Quels poissons ? Il n’y en a pratiquement plus. Et les pêcheurs ? Eh bien ils ont changé d’activité. Maintenant, ils pêchent les photographes. Il faut dire qu’ils ont tout ce qu’il faut pour ça. Des habits traditionnels, des oiseaux peu communs, des radeaux en bambou sortis du fond des âges, un savoir-faire, et une lampe à pétrole qui fait le bonheur des photographes en recherche perpétuelle de lumière.
C’est donc le récit d’une séance de pose dont il s’agit. Le principe ne me dérange pas du tout : une grande partie des beaux portraits de ce style sont des portraits posés, même si, en l’absence d’information, on pense parfois que tout cela a été pris sur le vif (on repensera notamment au Baiser de l’hôtel de ville de Doisneau).
Nous sommes au bout d’une petite langue de sable sur la rivière, à environ 700m au Nord de l’embarcadère de Xingping. Vient qui veut. Mais certains ont pris rendez-vous avec les pêcheurs à l’avance et les rémunèrent pour la séance de pose. J’en fais partie.
Comme souvent dans les endroits les plus connus pour la photo, c’est le rendez-vous des gros appareils photos, ce qui est toujours amusant à regarder. Il y a même un drône. On voit la télécommande au premier plan, juste à côté de mon trépied (que je n’utiliserai pas finalement). Il faut être le plus mobile possible ce soir.
Le moment se décompose en trois temps :
Les pêcheurs arrivent et se mettent en place. Le plus amusant, c’est que les deux que j’ai rémunéré via un photographe local (Mercier Zeng, merci à lui !) arrivent en bateau à moteur, dont ils descendent deux radeaux. C’est vrai ! S’ils peuvent avoir un bateau à moteur, pourquoi s’en priver ? Les deux plus âgés en revanche, deux frères, dont on voit de très nombreux portraits sur le web, arrivent en radeau. Il y a donc en tout quatre pêcheurs ce soir-là. Et quelques dizaines de photographes.
Ils font quelques lancers de filet. C’est beau, le geste est pur. Il faut juste viser entre les gros bateaux qui remontent vers Guilin et passent juste derrière. Les photos sont intéressantes mais il manque quelque chose. Une lumière. Surtout ce soir parce que la météo n’est vraiment pas de notre côté depuis le début du séjour. Il fait souvent gris. Temps bouché, sans brume (ce qui pourrait être très joli, avec de belles écharpes de brouillard) et sans soleil.
Après une petite heure et quelques pauses, ils se rapprochent du rivage et allument les lampes à pétrole. Et là, la magie opère. Les poses deviennent vraiment belles, mettant en valeur tous les traits du visage, les habits, les cormorans, les reflets sur l’eau de la rivière. Un moment de très belle photographie.
Sur les 1000 et quelques photos de ce soir-là, beaucoup sont vraiment réussies. Le choix est difficile. Il ne faut en imprimer qu’une. Laquelle choisir ? Plusieurs tiennent la corde.
Il faut donc choisir celle qui présente le meilleur compromis en terme de cadrage, de lumière, la plus intéressante pour la beauté des expressions des visages. A ce petit jeu, c’est celle-là qui gagne :
On voit les collines en arrière-plan, le ciel est beau, les deux pêcheurs plus jeunes ont le visage plus expressif, on comprend bien ici qu’ils sont en train de poser même si leur expression ne l’indique pas sur cette photo, les reflets dans l’eau sont beaux, la fumée de la pipe de celui de gauche (M. Wong), rajoute ce petit quelque chose qui manque ailleurs.
Pourquoi ces choix techniques ?
La focale : 24mm. Je suis à côté d’eux et je veux un peu de paysage en arrière-plan. Le 24-70 était le bon objectif pour quasiment toute la séance de pose.
Le tryptique ISO-temps de pose-ouverture : Il faut garder une vitesse correcte en très faible lumière. Ce sont des moments très compliqués pour les appareils photos classiques. Nul doute que dans quelques années, la plupart des appareils gèreront les basses lumières sans problème. Mais pour l’instant, le D800 est un cran au dessus du lot. C’est dans ces moments-là que je l’apprécie tout particulièrement. Il me permet de monter en ISO (3200 ici) sans pour autant perdre en piqué et en précision. La photo, bien traitée par DXO Optics (logiciel de post-traitement très performant), ressort nette, propre. Seule une partie des lampes est surexposée. Le reste est correct. Je peux même me permettre en post-traitement d’éclaircir un peu le radeau de M. Wong, qui avait tendance à disparaître dans le noir.
Post-traitement : très peu de post-traitement sur cette image. Il fallait juste faire attention à la bonne exposition au moment de la prise de vue. Au bon cadrage. Pas très difficile puisque les pêcheurs posent pour nous.