Qui sont ces migrants que l’on voit régulièrement apparaître au détour de l’actualité ? Le Bangladesh est devenu en quelques années un des pays symboles du réchauffement climatique et des migrations environnementales. Les déplacements de population annoncés demandent une réponse politique, d’autant plus que les migrants sont majoritairement issus d’une population très pauvre, donc vulnérable. Cette réponse peut être préparée dans la mesure où ce type de migrations est prévisible. Pourtant, rares sont les données scientifiques qualitatives disponibles sur le sujet. Qui sont ces migrants ? D’où viennent-ils et où vont-ils ? Peut-on identifier les facteurs qui les ont amené à se déplacer ? Leur migration est-elle temporaire ou définitive ? Gardent-ils des liens avec leurs territoires d’origine ? Comment s’adaptent-ils à leur nouvel environnement ? Peut-on améliorer leurs capacités d’adaptation ? Autant d’enjeux dans un contexte national extrêmement difficile.
Comment présenter le Bangladesh en quelques mots ? C’est un pays en développement (encore sur la liste des PMA) qui fait environ 1/4 de la France, habité par 3 fois la population française, dans des paysages de delta. Un peu caricatural mais parlant.
En 2011 et 2012, j’ai passé un peu plus de 2 mois au Bangladesh pour essayer de mieux saisir le sujet d’une future thèse… que je n’ai pas finalement pas commencée, contrairement à d’autres qui l’ont brillamment terminée (Alice Baillat, qui commençait ses recherches en même temps que moi, en sciences politiques). Restent ces 2 mois et l’aperçu que j’ai pu avoir sur certains enjeux du pays. Ce petit aperçu est bien sûr subjectif et très partiel. Il remonte aussi à 10 ans en arrière. Mais grâce aux personnes qui m’ont aidé à comprendre le pays, je suis allé dans des endroits qui sont souvent peu racontés.
Dans quelles conditions ? J’ai été accueilli sur place par une équipe de recherche (CSD) au sein d’une université de Dhaka (ULAB). Equipe dirigée à l’époque par Rathana Peou Van Den Heuvel. Une petite équipe qui avait au moins deux originalités : sur le fond, faire de la recherche sur les enjeux liés au développement durable au sein du pays; sur la forme mettre en contact des étudiants et chercheurs locaux avec des étudiants et chercheurs occidentaux. Ils m’ont ouvert leur carnet de contacts et c’est à eux que je dois mon parcours dans le pays.
Trois types de personnes m’ont beaucoup aidé à comprendre le pays. D’abord les étudiants et enseignants de l’université : traducteurs, facilitateurs (merci à Mynul Islam, Shakh Labib, Faruq Shahriar Isu…).
Deuxième type de guide dans le pays : les ONG. Pour le journaliste ou le chercheur qui ne connaît pas le pays ou / et qui a peu de temps, s’adresser à une ONG, c’est une évidence. En quelques heures, elles nous ouvrent les portes des villages ou des bidonvilles dans lesquelles elles agissent (merci à Friendship, AKK, Ypsa…). C’est aussi bien sûr un biais méthodologique important : on va là où elles nous emmènent. Si c’est envisageable pour une enquête de départ, c’est plus discutable pour une recherche au long cours. Enfin, 3e type de personnes : les travailleurs occidentaux envoyés par leur entreprise au Bangladesh, essentiellement dans le textile.
Parmi les particularités du Bangladesh qui m’ont marqué : tous les types de risques sont réunis (séismes, cyclones, submersion, érosion, mais aussi risques technologiques divers et variés…), avec une vulnérabilité aggravée par la pauvreté et souvent l’extrême-pauvreté et par des infrastructures fragiles.
Les trajets dans le pays sont difficiles. Surtout en période de mousson. Difficiles et chers pour les habitants bien sûr, qui le vivent au quotidien. Et difficiles pour les chercheurs : faire des enquêtes de terrain au Bangladesh, ça peut facilement prendre 2 fois plus de temps qu’en France tant le temps passé dans les transports est élastique.
A Dhaka, à certaines heures la circulation est très fluide. A d’autres, les embouteillages sont dantesques. Les rues de la capitale n’ont pas été prévues pour absorber des flux croissants.
Dans les espaces ruraux, ce n’est pas forcément mieux. Pour relier l’île de Sandwip, dans le Golfe du Bengale, au continent, il faut marcher quelques kilomètres dans le sable, prendre une petite barque, puis un plus gros bateau qui attend au loin sur la photo, puis une barque, puis à nouveau quelques kilomètres dans le sable avant de rejoindre la grande route.
Restent pour des yeux de géographe des personnes dont la résilience m’a aussi marqué. Le Bangladesh est souvent présenté comme impuissant et victime des changements climatiques. C’est une approche politique intéressante pour attirer des fonds, une stratégie qui permet au gouvernement d’attirer la lumière sur le pays, et qui permet aussi de glisser sous le tapis les autres facteurs de difficulté (le mal-développement, les problèmes politiques…). Derrière ce cliché qui a sa part de réalité, il faut probablement arriver à capter une autre image et mieux comprendre les capacités d’adaptation, la résilience des Bangladais. Pas de naïveté bien sûr mais pas de catastrophisme non plus. Si on pense capacité d’adaptation, alors on pense à la possibilité de la renforcer. Et ça devient intéressant parce qu’il y a matière à agir.
Restent aussi pour des yeux de géographe des paysages incroyables, fortement modifiés par les saisons (mousson / saison sèche). Entre terre et eau.
Quid de ces migrants environnementaux bangladais au fait ? Existent-ils ? Eh bien comme d’habitude quand on regarde à la loupe, c’est plus complexe que ce qu’on peut penser au départ. 1. La migration est presque toujours multifactorielle. Le facteur environnemental pèse lourd au Bangladesh mais les autres facteurs aussi (économique, politique…). 2. Les événements extrêmes reviennent plus fréquemment et gênent la résilience. 3. Pour l’instant, la migration est rarement internationale (trop chère, ou alors à destination des pays du Moyen-Orient, organisée par des réseaux) 3. Elle peut être saisonnière, temporaire, et vécue comme une manière de s’adapter (circulation). 3. Cette migration est souvent le fruit de réseaux (régionaux, internationaux), avec la question des mafias (mais pas toujours), et du coût. 4. Notre connaissance de ces déplacements est encore floue. Comptons sur la nouvelle génération de chercheurs locaux pour nous éclairer.
Pour découvrir un aspect du pays peu présent dans les médias, ces deux volets d’un documentaire qui date déjà un peu :
Une autre référence : le travail impressionnant des photojournalistes Bruno Valentin et Julien Pannetier, de l’agence Zeppelin. Familiers du Bangladesh, ils livrent une quinzaine de reportages d’une grande richesse. Faire une recherche « Bangladesh » sur leur portfolio disponible ici :