Une histoire d’eau, de bateaux et d’hommes qui les aiment.
Yves Marre est arrivé en 1994 au Bangladesh à la barre d’une péniche qu’il a transformé en bateau-hôpital (« Lifebuoy Friendship ») équipé des dernières technologies. Yves Marre et Runa Khan ont fondé ensemble l’ONG Friendship qui développent des programmes pour aider les plus vulnérables à prendre leur futur en main.
Parmi les projets réalisés, un chantier naval. C’est dans ce chantier naval que je vous emmène.
Pour vous donner une idée de l’importance de réfléchir sur des bateaux dans le contexte bengali, il faut savoir deux choses :
1. Le Bangladesh a une des plus grosses flottes de bateaux au monde.
2. Dans un pays qui vit avec l’eau et qui voit les eaux changer, le bateau fait forcément partie de l’adaptation au changement climatique.
Au moment où je suis passé, le chantier naval était situé au Nord-Ouest de Dhaka sur un bras de rivière et hébergait trois types de bateaux bien différents.
1. La péniche « Lifebuoy Friendship », celle-là même avec laquelle Yves Marre est venu de France. Elle est à quai pour une révision complète et un agrandissement. L’intérieur commence à prendre forme. Deux ponts intérieurs. Les structures des salles sont en construction. Yves me montre l’emplacement des deux futures salles d’opération, les cabinets de consultation, les salles d’attente… C’est émouvant de voir cette vieille péniche, qui a accueilli plusieurs centaines de milliers de patients ici au Bangladesh, à quai pour une nouvelle vie.
2. Dans un hangar, le grand projet actuel centré sur les bateaux de pêcheurs. Sur le littoral, les cyclones s’enchaînent et rentrent de plus en plus à l’intérieur des terres, décimant la flotte de petits bateaux qui sont le seul bien et l’outil de travail des pêcheurs. Yves a donc contacté Marc Van Peteghem (architecte des voiliers vainqueurs de la Coupe de l’America et du Trophée Jules Verne, entre autre). Ensemble, ils ont étudié les bateaux traditionnels du delta. Puis, ils ont construit un nouveau modèle, plus solide (en fibre de verre) et insubmersible. Certains bateaux de ce modèle ont déjà été livrés dans le Sud. En parallèle, l’équipe travaille à l’amélioration d’autres modèles pour les rendre plus stables à grande vitesse. Thibault, un ingénieur français, est à Tara Tari depuis plus d’un an pour un transfert de compétences auprès des ouvriers locaux sur la fibre de verre.
Comme la fibre de verre n’est pas une filière locale, des recherches sont menées sur les autres types de fibre comme le jute, qui lui est une spécialité bengalie. Ça, c’est la partie de Corentin, l’autre Français du chantier. Dans les années 2010, il a rallié la France à bord d’un voilier en partie construit en fibre de jute, pour prouver la faisabilité du projet et médiatiser l’expérience. 14000km de navigation en solitaire. En 2011, il travaille à quai, au bord du fleuve, à un autre type d’aventure : la transformation d’un métier à tisser local pour lui faire fabriquer de la toile de jute prête à encoller. «Tara Tari» veut dire «vite» en bengali. Vite inventer une filière nouvelle et locale. Ces bateaux ont vu le jour. Notamment Gold of Bengal.
Voi aussi le magnifique reportage des Zeppelin, Bruno Valentin et Julien Pannetier :
https://www.zeppelin-geo.com/galeries/bangladesh/juteboat/juteboat.htm
Aujourd’hui, Watever s’oriente vers le bambou.
3. Parmi les autres bateaux à quai, le B613 mérite une attention particulière. Il y a 20 ans, des dizaines de Malar, ces grands voiliers impressionnants, naviguaient sur le Brahmapoutre. Puis, toute la flotte du Bengale a progressivement abandonné la voile pour passer au moteur. Le B613 est le dernier bateau de cette catégorie encore vivant et le plus gros voilier du golfe du Bengale. 30m de long, 250m2 de voilure. Aujourd’hui, il sert de bateau de croisière dans les Sundarbans, les mangroves du littoral. Il est à quai à Tara Tari, la mature rangée et une bâche sur le pont ouvert. Il est moins impressionnant qu’en navigation, mais c’est tellement émouvant de monter sur ce bateau de légende, le dernier d’une génération millénaire. B613 ? Eh bien B612 est l’astéroïde d’origine du Petit Prince de Saint-Exupéry. Alors, si on peut être voisin du Petit Prince, la vie a des chances de ressembler à quelque chose de beau…
La première photo du reportage suivant représente le B613 en navigation :
Dernier morceau de l’histoire qui sort de l’ordinaire : Tara Tari ne s’est pas contenté d’acheter ce malar. Le chantier a aussi embauché les derniers charpentiers de marine du Bangladesh, des personnes qui ont un savoir faire et sont fiers de le mettre en oeuvre. En plus du travail du bois, il ont un coup d’oeil irremplaçable pour la ligne des bateaux, y compris ceux construits actuellement en fibre de verre. Comme il n’y a pas beaucoup de travail dans le bois en ce moment au chantier, les charpentiers construisent des répliques de malar et d’autres voiliers en miniature.
Une journée merveilleuse passée au bord du fleuve à la rencontre de gens accueillants et passionnés.
Si vous voulez en savoir plus :
Sans compter les images magnifiques de vrais artistes de la photo : les Zeppelin, Bruno Valentin et Julien Pannetier :
https://www.zeppelin-geo.com/galeries/bangladesh/juteboat/juteboat.htm