Les chars sont des îles de sable qui affleurent à la surface des cours d’eau du pays. En période de mousson (entre juin et septembre), l’érosion les déplace, en fait disparaître certaines, en reforment d’autres plus loin… C’est un monde mouvant où les enjeux liés aux risques et aux ressources sont omniprésentes et modèlent la vie des habitants.
Ici, nous sommes sur le Padma, le nom que prend la branche bangladaise du Gange. Après avoir rejoint le Brahmapoutre, le Padma s’élargit et devient le Meghna avant de se jeter dans le Golfe du Bengale.
Les échelles sont différentes de ce qu’on connaît en France et les chiffres donnent le vertige : le bras principal du Meghna fait environ 3km de large, beaucoup plus au moment de la mousson, en période de crue. Le Rhône (certes canalisé mais c’est pour donner une idée) à Lyon fait 250m de large après la confluence. La Seine à Paris une centaine de mètres de largeur. Le débit du Rhône est d’environ 1700m3/s à son embouchure. Celui de la Seine 500m3/s. Le Meghna en période de crue dépasse les 30 000m3/s. On est en fait dans le plus grand delta du monde.
Des photos des rives permettent de se rendre compte du potentiel d’érosion des cours d’eau.
L’érosion naturelle est aggravée par d’autres phénomènes bien humains : dans la région de Faridpur, les briquetteries consomment chaque jour des tonnes et des tonnes de sable pour l’économie de la construction. On n’est pas très loin de la capitale. Et là, on ne parle plus de sable qui serait redéposé ailleurs par le fleuve…


Alors pourquoi habiter dans un environnement aussi difficile ? Quelques idées : c’est un petit monde, un peu à l’écart d’autres difficultés du pays, la terre est en grande partie publique (khas land) donc accessible à tous a priori, une certaine fertilité des sols aussi selon les endroits (ça dépend de l’ancienneté du char), les ressources de la pêche.




Une rencontre avec des habitants des chars de Faridpur permet d’aborder les déménagements : les habitants des chars déménagent donc plusieurs fois dans leur vie. Le coût du transport des maisons pose de plus en plus problème. Environ 50 000 takas par foyer (500 euros). Pour y faire face, beaucoup s’endettent ou vendent des bêtes. Ensuite, même si les habitants des chars y sont habitués, c’est toujours un traumatisme. Pour beaucoup, cela fait longtemps que les tombes de leurs parents ont disparues, emportées par le fleuve. Le lieu où ils sont ne tient qu’à un fil. On est très loin de la stabilité physique à l’européenne. Enfin, cette mobilité les condamne à une vulnérabilité en matière de revenus. Ils ne sont par exemple jamais sûrs de retrouver des terres à cultiver. L’érosion reforme des chars mais ils ne sont pas tout de suite cultivables et surtout habitables.

Une rencontre avec les habitants de rives de la Dharla permet d’aborder les stratégies d’adaptation. Beaucoup d’entre eux trouvent leur salut dans une stratégie toute simple : la migration saisonnière, vers les villes (Chittagong, Dhaka) ou vers d’autres campagnes. Ils cultivent aussi des parcelles de riz ou de légumes au milieu de la Dharla, sur les îles qui se sont créées dans les années passées et ne sont pas encore habitables. Les photos suivantes sont prises en février, en période de basses eaux (ces îles sont sous l’eau au moment de la mousson, en été).



Les hommes de cette photo ont tous passé une partie de leur vie à bouger dans le pays, de manière saisonnière. Trois d’entre eux ont passé une dizaine d’années à Chittagong, à travailler sur les routes et dans les chantiers navals, très loin de chez eux, à plus de 500km à vol d’oiseau. La migration saisonnière vers les chantiers navals du Sud du pays est une stratégie bien connue pour les cultivateurs du Nord les plus pauvres. Un véritable réseau s’est créé. Et certains emplois dans les chantiers sont occupés uniquement par des saisonniers. Ou devraient-on dire « étaient ». Même les chantiers ont tendance à se mécaniser ! Ces hommes nous parlent d’un temps, quinze ans auparavant, où les plaques de métal étaient tractés par 400 ou 500 personnes à la fois. Aujourd’hui, c’est un treuil qui fait le travail.

Se sentent-ils bien ici ? Oui, relativement bien. Evidemment, ils ont parfois la nostalgie des bonnes terres qu’ils ont pu avoir parfois dans le passé (et des arbres fruitiers qui y poussaient…). Et la vie n’est pas facile. Les habitants des chars font souvent partie des personnes les plus pauvres : au moindre problème de santé, tout peut s’écrouler. Les déplacements vers le continent et l’achat d’intrants pour l’agriculture pèsent sur le budget. Le transport de personnes entre les îles et le continent, si nécessaire, est dans les mains du privé et il faut bien payer le prix demandé. C’est un gros poste de dépense pour des gens extrêmement pauvres. Même s’il est vrai que les habitants peuvent aussi compter sur les bâteaux des ONG qui sillonnent les canaux.



C’est en sillonnant ces canaux que l’on prend le mieux la mesure des chars : un milieu où la terre et l’eau se mélangent au gré des saisons. Pendant la mousson, l’eau recouvre une grande partie des terres. Seules émergent les îles les plus grandes, et de loin en loin, les petites buttes sur lesquels flottent quelques maisons. Pour rallier ces petits bouts de terre : des dizaines de bateaux, de la grosse barque à moteur au petit bateau à voile. Et souvent, on ne voit qu’une voile au dessus des herbes.

